*** LITTERATURE : JOATHAN LIVINGSTON LE GOELAND ***
La littérature m’a offert un appui, pendant les 18 ans où j’ai vécu à la campagne à une époque bien loin des portables et d’internet. Alors que le cinéma du coin passait les bobines d’Indiana Jones dans le désordre (véridique, le film commençait par le dernier chapitre), alors que le théâtre, la musique, la danse, la peinture étaient difficilement accessibles (à part quelques excursions « en ville » sur lesquelles je reviendrai), il y avait le bibliobus, une bibliothèque publique itinérante, qui m’offrait des milliers d’ouvrages. J’en dévorais une sacrée quantité, semaines après semaines (j’avais le droit à un nombre de livres défini, à rendre le mercredi d’après si j’en voulais d’autres, il fallait lire vite). Il y avait aussi des cadeaux, des livres que je pouvais conserver. Dont certains sont encore dans ma bibliothèque.
Enfant, j’ai connu des insights intenses (je pourrais même dire explosifs) en lisant. Car c’était là les seuls indices de l’existence d’humain.e.s qui me ressemblent. Ou de contes qui semblaient écrits pour moi, tant les animaux ou enfants héros me racontaient mes propres questionnements, quêtes, (dés)espoirs et angoisses.
Aujourd’hui, j’ai choisi de présenter mon numéro 1, que je dois avoir lu près de 100 fois : Jonathan Livingston le goéland, de Richard Bach (1973 pour la version française).
Le héros est un jeune oiseau, que ses parents incitent à se comporter comme tout bon goéland, c’est à dire à ne voler que pour se nourrir, de façon « raisonnable ». Amoureux du vol en soi (libéré de sa fonction utilitaire), Jonathan va mobiliser sa volonté pour inventer d’autres manières de jouer avec les courants, pour comprendre le potentiel de son vaisseau, dépasser les limites du vol de son espèce et ainsi sortir du chemin que la société des Goélands lui intime de suivre.
Vivre libre, en dépassant le « c’est comme ça », du socialement acceptable, va lui valoir l’exclusion. Solitaire, il poursuit ses explorations aériennes en poussant de plus en plus les soi-disant frontières des possibles, oubliant de manger pour ne se livrer qu’à son obsession.
La suite du récit est double.
La censure est évitée par la lecture heureuse : Jonathan rencontre d’autres passionnés de vol libre avec qui il apprend le sens de la vie et partage des découvertes (questions techniques de vols et questions existentielles mêlées).
En filigrane (ne pas prendre les enfants pour des andouillettes), il est clair qu’il vit hors limites jusqu’à devenir fou (passer dans l’autre dimension, complètement) ou mourir : « L’éblouissement s’éteignit. Jonathan le Goéland s’était évanoui dans l’espace ». Je précise que, malgré les apparences, cette fin peut être ressentie comme apaisante et ouvrante par une petite fille (l’issue serait donc « l’espace »?).
A l’époque, comme pour tout récit qui me bouleversait, je ne comprenais pas le message clairement. Je savais juste que si j’ouvrais l’un des livres magiques, j’allais pleurer à la fois de tristesse et de soulagement et rêver plus intensément.
Par le rêve éveillé (le vol de Jonathan) d’une porte de sortie de ce rang ordinaire qui mène sans surprise à un possible de fille (avec sa « tenue »), sage, discrète, normale (ou qui fait mine de l’être), qui encaisse les violences et en « rigole », bonne à l’école, sociable avec les gens rudes, insensible avec les bêtes rudoyées, qui reste sur terre plutôt que de partir dans d’autres dimensions, qui cesse d’imaginer pour apprécier d’avoir appris à bien appliquer les règles, qui exclut toute bizarrerie pour être une « voisine-collègue-mère de famille honnête »…
Par le discernement du risque systémique, car l’émancipation amène la violence sauvage et le bannissement social.
Par le discernement du risque psycho-corporel aussi. Car l’exploration mène à l’inconnu, à la crête où le basculement est possible, où l’accident fait autant partie du jeu que les bouts de vols planés (enfant, j’aimais beaucoup les sensations de vitesse, à vélo, en luge, à cheval, les sensations de tournoiement en toupie humaine, de décollage plus qu’horizontal en balançoire ou à cheval, les sensations de voyage interne en retenant ma respiration ou en « entrant » dans un tube d’herbe ou en partant loin des réalités humaines jusqu’à avoir du mal à revenir (Déréalisation ? Rêve éveillé ? Sortie de corps ? Episodes psychotiques ? Connexion à l’animal ou à l’univers ?… Tout dépend du côté agréable-volontaire ou vortex-aspirant et aussi de l’axe théorique choisi pour le conceptualiser…).
Et enfin, par ce message d’espoir qu’il y a un voyage à accomplir seule puis avec des pairs, pour apprendre plus haut, plus loin, plus inouï la technique du pilotage la plus subtile et la plus efficace, pour revenir une fois les connaissances stabilisées, les transmettre à celleux mêmes qui ont exprimé leur rejet.
Aujourd’hui, j’accompagne des personnes en voyage avec le REVAH, somme de mes expériences sur la connaissance de soi, sur l’amour d’être au monde, sur le voyage dans d’autres dimensions, sur les techniques de vol dans des zones limites de turbulence, dans ces entre-deux qui peuvent être dangereux si l’on ne respecte pas la progression et quelques règles élémentaires… et je transmets les bases de cet outil, que j’ai commencé à forger lors de mes lectures et expérimentations d’enfant.
Jonathan, merci pour cet exemple sans lequel je n’aurais peut-être pas osé m’envoler seule, sans lequel j’aurais peut-être trop essayé trop longtemps de rentrer dans la norme. Ton message a infusé longtemps. Il m’a accompagné en filigrane durant des décennies.
Aujourd’hui, je suis bien entourée d’autres oiseaux chercheurs marginaux non institutionnalisés.
Et j’ai suffisamment de connaissances pratiques de mon pilotage interne pour en extraire des pans partageables et pour co-piloter celleux qui désirent explorer leurs territoires inconnus en toute sécurité, pour voler vers l’amour et vers l’appartenance profonde à l’univers.
Evidemment ce n’est pas la totalité de ce que je vis-suis !
Disons que c’est l’une des facettes dont je suis heureuse et dont je ne pourrais plus me passer…
Un jour, une guide primordiale m’a dit que j’étais responsable de ma décision d’avancer encore dans cet apprentissage. Et que cette responsabilité englobait la conséquence de ne plus pouvoir oublier-reculer. Tête brûlée à l’époque je n’ai pas pesé ma décision plus d’une demi-seconde : évidemment que je voulais atteindre un nouveau palier ! Je me suis engouffrée dans sa proposition et j’ai vécu une nouvelle expérimentation, avec ses lumières et avec ses ombres.
Aujourd’hui… je comprends sa question. Et je pèse mes décisions quand un chemin s’ouvre. Ils ne sont pas tous « bons » pour ce que je suis et désire ici et maintenant. Il y a des renoncements nécessaires et des risques à ne pas prendre. Je vieillis.
Vive le début de la sagesse !